Skip to main content

Ceferina Banquez : chants de lutte et d’exil

La trajectoire musicale de Ceferina Banquez est très atypique. Même si elle chante depuis toute petite, elle a commencé une carrière musicale à plus de 60 ans, en chantant le bullerengue à sa manière et en lui donnant une touche très personnelle.
Ceferina Banquez a changé la tradition du bullerengue ; traditionnellement chant de femmes, chroniques du quotidien, Caferina l’a adapté au contexte dans lequel elle vit, c’est-à-dire son histoire, sa condition de femme Noire, de paysanne, mais surtout en parlant du conflit armé.
Originaire d’une région du nord de la Colombie appelée « Montes de María », près de Carthagène, elle a dû fuir pendant 16 ans comme victime du déplacement forcé y du conflit armé.
Le travail de Ceferina Banquez a été reconnu en 2013 avec un prix du Ministère de la Culture pour son engagement à l’enrichissement culturel des communautés Noires et Afrocolombiennes, suite à son magnifique disque “Cantos ancestrales de Guamanga”. Elle est décédée en juillet 2023 à l’âge de 80 ans.

Je m’appelle Ceferina Banquez Theran, je suis de Colombie, département de Bolivar, je suis née à la campagne, je suis une paysanne, et j’ai 75 ans.

Quand j’étais petite, j’avais des tantes paternelles et maternelles étaient chanteuses et compositrices de bullerengue. Elles ne chantaient que dans le village, ou dans un village voisin, mais pas plus loin, elles ne sont même pas allées jusqu’à Carthagène.

Quand mon mari était vivant il était agriculteur ; lorsqu’il est décédé, j’ai du m’en occuper, je sais semer du maïs, du yuca, du manioc,  chercher l’eau à la rivière… j’ai du m’occuper toute seule de tout ça, parce que j’avais 6 enfants, et ça a été dur, je devais nourrir mes enfants.

En 1999 le conflit entre la guérilla et les paramilitaires a commencé dans la région où je vivais ; on a du partir, « déplacés ». A cette époque, je ne chantais pas.

En 2007 j’ai commencé à écrire mes premières compositions ; j’avais gardé ça en tête, pour si un jour j’avais la possibilité d’arriver à composer, comme une envie profonde d’avoir envie de faire quelque chose d’y penser, et de se dire : « Je peux le faire ! »

Et je me suis délivrée de cette souffrance lorsque j’ai commencé à chanter : ma vie a changé.

Les compositions reflètent des évènements qui se sont vraiment déroulées ; on raconte de vraies histoires. Et comme je suis une « déplacée », je parle de mon « déplacement »

Comme je suis déplacée des Montes de María
J’ai écrit cette chanson parce qu’ils ont tué mon neveu
En 1993, ils ont tué Donicel
Ils m’ont envoyé un papier pour que je le sache
Comme c’était mon neveu, j’ai du partir
Je n’avais rien à manger et je suis parti au Magdalena
Ô Colombie, Ô Colombie, le pays est compliqué
La violence ne s’arrête jamais et n’a pas de fin
Je dois parler à Santos et au Président Obama
Pour que s’arrête la notoriété de la Colombie : le plomb et la marijuana

Quand j’ai commencé à chanter, mes enfants ont été impressionnés : « Comment se fait-il que notre maman chante si bien ? Nous ne savions même pas qu’elle composait, qu’elle écrivait ». Et ils ont été surpris lorsque j’ai commencé à chanter. Si j’avais été morte avant ça, je l’aurais emmené avec moi, et personne n’aurait su que j’avais ce talent.

Parmi mes chansons, j’en ai une qui dit « si je vais à Guamanga ». Parce que je voulais, après la violence revenir à ma ferme. Guamanga c’est là où j’ai ma ferme, où je vis. J’ai écrit « Ne me pleurez pas si je retourne à Guamanga », car mes amies me disaient de ne pas y aller, parce que la guerilla pouvait me tuer, je leur dis donc de ne pas me pleurer. Je vais à Guamanga, et je reviens. Mais si je n’y retournais pas, je perdais ma ferme.

Quand les présidents ont cherché des moyens de faire la paix avec les narcotrafiquants, de faire un référendum pour que les gens votent oui ou non, ceux qui ont voté oui nous avons perdu, et ceux qui ont voté non c’était pour continuer la violence ; ça m’a beaucoup affecté, j’ai beaucoup pleuré, j’ai souffert. Je me suis dit « la violence va revenir, on va encore souffrir », principalement nous qui sommes à la campagne. Alors j’ai écrit une chanson pour parler de la paix. Je veux la paix parce que je suis une « déplacée »

Interview, montage son : Frédéric Tonin
Illustration, graphisme, montage vidéo : Yorki Baser & Rémy Porcar
Texte et traduction : Frédéric Tonin & Alejandra Pinzón García

Musiques :
Ceferina Banquez – Epa, epa
Ceferina Banquez – Kasimba
Ceferina Banquez – No me dejen sola
Ceferina Banquez – La coca pila
Ceferina Banquez – No me lloren
(Karibona World Music)
Remerciements : Juan David Banquez Mendoza