Skip to main content

La gaita est une flûte précolombienne dont se servent les peuples indigènes du nord de la Colombie, et c’est aussi le nom du style musical popularisé par le groupe emblématique « Los Gaiteros de San Jacinto », créé dans les années 40 par Toño Fernández. Son neveu Juan Alberto « Chuchita » Fernández Polo a repris le flambeau depuis les années 70.

Véritable poète, conteur, personnage charismatique, Juan Alberto « Chuchita » Fernández Polo chante la vie avec passion et simplicité. Voici un moment privilégié avec le « maestro », dans son jardin, au milieu des poules et des oiseaux, dans lequel il nous confie avec la malice de ses 87 ans quelques souvenirs de sa longue carrière.

Je m’appelle Juan Alberto Fernández Polo, ici à San Jacinto et dans n’importe quelle partie du monde. J’ai toujours suivi les Gaiteros, parce que je ne suis pas parmi les premiers Gaiteros, je suis arrivé grâce à mon oncle : il s’appelait Miguel Antonio Fernández Vásquez. Moi j’étais le guacharaquero de Andrés Guerra, on jouait des vallenatos. J’ai laissé le vallenato en 1976, et je suis allé avec eux à Bogotá. Et ensuite j’ai continué. Comme vous me voyez, j’étais il n’y a pas longtemps à Paris, en tant que chanteur des Gaiteros de San jacinto.

Je me suis rapproché de la gaita, parce que j’y ai vu plus de valeur que le vallenato. Et je suis content avec ma gaita maintenant. Je ne suis pas gaitero : je n’ai pas appris, comme dit le dicton “le vieux perroquet n’apprend pas à donner la patte”, mais j’ai toujours aimé chanter, et être avec elle. J’ai vu plus d’argent, plus d’attente chez les gens, plus d’admiration.

Un jour on m’a vu chanter, et un gars arrive, me touche l’épaule et dit : “Ce chuchita joue bien !”. Jeune j’ai toujours été brun, le teint foncé, et fin, mais ça ne m’a pas plu qu’on me compare à une “chuchita”, parce qu’ici ce qu’on appelle chuchita c’est un petit renard (NB : un opossum) mais ensuite je me suis rempli d’orgueil, on m’appelait “Chuchita”, mais je ne répondais pas. Il n’y a pas d’artiste qui n’a pas de surnom.

Toño Fernández, mon oncle, chantait à une époque où la gaita n’avait pas de paroles ; ils jouaient aux coins de rue, ils se réveillaient ivres, buvaient de la bière, du rhum sans gagner un rond. S’ils voyaient un jeune plein d’envie, ils l’éduquaient : “tu apprendras beaucoup avec nous !” Le gaitero n’était pas très valorisé. Ici celui qui a mis en valeur les gaiteros, c’est le Docteur Manuel Zapata Olivella, dans les années 50. Il a emmené avec lui Antonio Fernández, Juan Lara, José Lara, Nolasco Mejía, Andrés Landero. Ce sont eux qui ont mis en lumière le village de San Jacinto, les “Gaiteros de San Jacinto”. Il y a encore aujourd’hui des gens qui apprennent, qui viennent apprendre à San Jacinto.

Je suis le bon héritier du noir, de l’indien et du blanc
Du noir, j’ai hérité le tambour
De l’indien j’ai hérité la gaita
Et de l’espagnol, son chant. (“El heredero”)

Je compose de tout, mais en faisant toujours attention aux paroles et la musique, c’est la première exigence. Je n’écris pas, je ne lis pas, je ne sais même pas rimer. Ce que je fais est naturel, spontané. Un jour on discutait avec des amis, une jolie jeune fille venait vers nous, j’ai fait une chanson qui dit :

“Jolie brune et ton orgueil, tu m’as cassé le coeur en morceaux, donne-moi la moitié du tien pour mourir dans tes bras
Celui qui parle de la fête c’est parce qu’il s’est vu en elle, parle-moi de la tienne pour me consoler
Je t’aime avec gratitude, partage-moi ton sourire pour me consoler comme je te le demande Maritza”

La célèbre chanson “La pava congona”, on l’a fait avec Andrés Landero avec 7 bouteilles d’anis dans le sac, sur un chemin… Amoureux des femmes. On sortait d’un bistrot pour aller se promener dans les champs, et là il a commencé à me demander quels étaient les oiseaux qui chantaient dans les champs : il y a le corcovado, la perdrix, le passereau, et tous les autres. Et on a écrit ceci :

Une après-midi dans la montagne j’ai entendu chanter le corcovado
Une après-midi dans la montagne j’ai entendu chanter le corcovado
une araignée faisait sa toile sur un arbre
Un juan polo chantait aussi, alors que le jour se levait
Moi je regardais seulement et cela m’amusait
La gallineta chantait aussi mais aussi la pava congona
La perdrix inquiète, et le passereau qui donne l’heure (“La pava congona”)

Un feu de sang pur qui se chante avec lamentation”

Et j’ai suivi mon petit bonhomme de chemin avec ma gaita. Mon premier voyage je l’ai fait en Belgique. J’ai été à Buenos Aires, aux Etats-Unis. Je suis allé à Las Vegas ! J’ai foulé le tapis rouge ! Imaginez-vous, Las Vegas ! On y a gagné un prix ; je l’ai quelque part. On était avec Toño García, Rafa, les autres, et une chanson a gagné un prix, elle s’appelle “Un fuego de sangre pura” :

Les nuits obscures s’allument,
Les nuits obscures s’allument avec une fête enchanteresse
L
es roulements de tambour, la race noire se lève
L’indien doucement avec sa gaita mélodique
interrompt dans le silence, lorsque la flamme danse
Et Je sens dans mes veines un feu qui ne s’éteint pas
C’est le feu de ma cumbia, le feu de ma race,
Un feu de sang pur qui se chante avec lamentations (“Un fuego de sangre pura”)

Et actuellement, ce qu’on demande le plus, c’est la chanson de la Candelaria, grâce à Toño Fernández qui lui a donné ses lettres de noblesse :

J’avais une Candelaria
avec elle je m’amusais
elle est partie et j’ai pleuré
Ay, adieu ma Candelaria
Candelaria, Candelaria, Candelaria de ma vie!,

Je vous conseille de venir visiter notre terre colombienne, ici on est bien. Vous pouvez venir avec confiance, parce qu’ici on a le meilleur, la bonne amitié. Je vous le recommande, qui que ce soit qui vient, je suis ici à votre service.

Je vais me coucher parce que je me sens ivre
Je ne peux pas chanter, ont dit les jeunes
L’aube arrive déjà, le soleil se lève,
J
e vais mourir de sommeil, je me meurs,
Ay je meurs de sommeil,
Ay je meurs de sommeil (Viene amaneciendo”)

En 2007, la groupe a reçu la reconnaissance internationale avec un Grammy dans la catégorie « meilleur disque folklorique ». Juan Alberto « Chuchita » Fernández Polo est décédé en juillet 2021.

Crédits :
Interview, montage son : Frédéric Tonin
Illustration, graphisme, montage vidéo : Rémy Porcar
Texte et traduction : Frédéric Tonin, Rosa Mina, & Edwin Lopera

Musiques :
Los Gaiteros de San Jacinto : Campo alegre – Celestina – Así tocan los indios – El heredero – La pava congona – Fuego de cumbia – Candelaria – Viene amaneciendo

Remerciements : Gabriel Torregrosa Romero