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Gardiennes de la mémoire musicale

Au bord du fleuve Guapí, le village qui porte le même nom semble éloigné de tout, sauf de ses traditions musicales. Immergé au milieu des mangroves, accessible seulement en barque ou par avion, c’est un haut-lieu de la culture et de la musique du Pacifique, où sont nés des musiciens reconnus.
Les sœurs Yamile et Marbel Cortés, Yesica et Libia chantent depuis l’enfance. La musique de Semblanzas est puissante et navigue entre les rituels, la nostalgie et la célébration et nous permet de sentir et toucher l’âme de cette région du Pacifique : écouter le fleuve, préserver la forêt sauvage, chanter les mangroves…
Le groupe Semblanzas Del Río Guapí agit pour préserver, renforcer et diffuser la culture musicale, principalement auprès des jeunes générations.

Interview, montage son : Frédéric Tonin
Illustration, graphisme, montage vidéo : Rémy Porcar
Texte et traduction : Frédéric Tonin et Aura Hernández Barrera

Musiques :
Semblanzas del Río Guapi – Los bebedores
Semblanzas del Río Guapi – Voy pa allá
Semblanzas del Río Guapi – La balsada
Semblanzas del Río Guapi – Llora la tierra
Semblanzas del Río Guapi – Abran la puerta a la paz
Semblanzas del Río Guapi – Bogando
Semblanzas del Río Guapi – Los Guasangu
(Llorona Records)
Remerciements : Boris el Mago, Camila Díaz Escobar, Eddy Gomez (Llorona Records) y Semblanzas del Río Guapi

Je m’appelle Yamilé Cortés, je suis la directrice du groupe « Semblanzas del Río Guapi », représentante légale de la Fondation du même nom.
Le groupe est formé de jeunes originaires de différentes communautés, et cela ressemble donc à une coalition de savoirs qui enrichit notre savoir-faire musical, d’où le nom « semblanzas » (profils), comme un collectif de personnes qui au-delà du savoir musical apporte une richesse culturelle parce que dans chaque communauté, même si on joue les mêmes instruments, on chante les mêmes chansons, il existe une inteprétation propre, et cela enrichit le groupe.
Nous avions l’impression que la musique du Pacifique allait disparaître : personne ne l’écoute, par exemple. Mais si elle n’a pas disparu avant, alors que personne ne connaissait son existence, parce que nos anciens faisaient de la musique seulement pour eux, pour s’amuser, elle disparaitra encore moins maintenant qu’il y a des écoles de musique, beaucoup de jeunes se sont appropriés la musique traditionnelle ; nous, nous voulons que nos jeunes ne voient pas seulement la musique du Pacifique comme quelque chose à préserver, mais qu’elle soit un outil pour vivre, pour la vie.

Ce groupe musical est né en 2011, et regarde où nous en sommes… Parce que, plus que des musiciens, nous avons appris à devenir amis, à former une famille. Nous aimons ce que nous faisons, disons que nous avons une idée très claire de ce que nous avons à faire pour que nos jeunes s’approprient la musique et aient une nouvelle vision de la vie. Si Guapi est grand, les villages sont petits, il n’y a pas d’opportunité, les enfants n’ont rien d’autre à faire que nager dans le fleuve ; nous avons appris en écoutant nos anciens, nous n’avons pas eu la chance
d’avoir une école de musique et nous voulons que ces jeunes aient cette chance.

Nous avons pensé l’album « Voy pa’ allá » pendant la pandémie… Nous étions enfermés à la maison alors nous avions tout le temps de penser ce que nous allions faire. Nous avons bien réfléchi aux paroles, et nous avons de très belles chansons comme « Abren la puerta a la paz » (« Ouvrez la porte à la paix »). C’est une chanson qui raconte ce que beaucoup ne peuvent dénoncer, ce que vivent beaucoup de mamans mais gardent le silence à cause de la situation qu’elles vivent. Ça parle des difficultés mais aussi qu’on s’accroche. Parmi toutes les difficultés que nous connaissons, il y a aussi de nombreuses choses positives.
Une de nos particularités musicales, c’est notre marque de fabrique ancrée dans les rythmes traditionnels. On étudie, on fait de la recherche. C’est un processus d’investigation auprès de nos anciens qui nous livrent ce savoir.

Une autre chanson « Bogando », raconte notre vie, comment vivent les femmes du Pacifique, comment elles se déplacent pour travailler pour ramener la nourriture dans l’assiette de ses enfants. On peut connaître Guapí à travers nos chansons, ce que nous pensons, ce que ressentons, ce que faisons, comment vit-on, ce qu’on mange, comment on s’amuse…
Une des chansons qui a aussi marqué c’est « Los Guasangú ». Dans cette chanson on raconte de différentes manières comment on travaillait dans les collines ; le nom de « guasangú » se réfère à des grandes fourmis avec de gros derrières, qui souvent piquent les gens qui vont travailler, donc on a voulu raconter ce que faisaient nos parents, grands-pères et grands-mères qui aujourd’hui encore vont chercher de la nourriture dans les champs ; et donc ils rencontrent ces bestioles, ces fourmis sont très puissantes et presque propriétaires de la forêt de notre Pacifique.
Elles travaillent toujours en équipe, elles sont soudées au moment de se confronter à quoi que ce soit dans le monde. Nous nous voyons ainsi, en tant que groupe, si Dieu le permet . Que nous soyons tous unis dans les réussites, dans les tristesses, dans la joie à leur image, car où il y a une, elles sont toutes là.